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1939 - Au café de Paleysin

[...] Tout le monde devait se préparer à cette nouvelle guerre. C’est dans l’angoisse et avec colère que les habitants l’affrontaient.

« Les hommes d’État sont fous, à toujours vouloir mettre leur population dans les bras de la mort, avait lancé Jules Gué, le tenancier du café. Des amis à nous, il y en a plein le monument aux morts, et il y a le Guste, qu’à chaque pas qu’il fait avec sa jambe de bois ça me remue les tripes ! »

Benoît, Ferdinand et quelques autres l’avaient regardé, perplexes.

« Et qu’est-ce qu’on fait alors ? questionna Benoît. C’est bien joli, la parlote, on est tous d’accord, Jules. Et après ? Quand les Boches seront là, on leur fera des courbettes ?

− Qu’ils approchent seulement de ma porte, ils seront reçus avec du plomb dans le cul !

− Ben voyons, Ferdinand ! Te voilà bien courageux d’un coup ! T’étais pas si vigoureux en 18 quand tu pleurais pour descendre à la gare ! lui rappela Alphonse, le garde champêtre.

− De quoi tu causes, pauv’con ? La Grande, tu l’as même pas faite, t’étais dans tes langes, salopard ! T’es comme les autres, tu réchauffes les insanités des vieux ! J’ai chialé, oui, parce que ça faisait quatre ans que ça canardait là-haut, et que j’avais pas envie de m’retrouver en confettis dans un coin paumé ! Moi, je dis, y a pas de honte à ça ! Et même peut-être bien que t’aurais chié dans ton froc aussi !

− T’échauffe pas, Ferdinand ! On est d’accord, soupira le Gué en essayant de calmer le jeu tandis qu’il ramassait les bouteilles déjà alignées sur la table.

− Ouais… J’en suis pas si sûr, répondit Ferdinand entre les dents. Moi, je vous préviens, j’vais devenir fou si j’en vois un. Faut pas qu’ils viennent me faire chier !

− On a la Maginot maintenant, osa Baptiste.

− Moi, je crois rien à tout ça ! En 14 aussi, on était soi-disant les plus forts… Qu’on devait même en faire qu’une bouchée. Y a fallu quatre ans pour venir à bout de cette saleté !

− Faut faire confiance à Daladier ! Il sait ce qu’il fait, insista Baptiste.

− Pff, qu’est-ce que tu connais à la politique, toi ? Non, faut faire confiance à personne je vous dis. S’ils viennent à nos portes, faudra se défendre tout seuls ! … Bon ! allez, je vous laisse. C’est l’heure de la soupe. Rosalie n’aime pas que j’arrive en retard. Salut la compagnie, vous pourrez dire tout ce que vous voudrez, de toute façon, ça ne changera rien !

− Bon appétit, Ferdinand, dit Jules.

− J’ai pas bien d’appétit avec tout ça. À la revoyure, les causeurs ! »

Ferdinand était sorti et la tablée s’était tue. Au fond, tout le monde savait bien qu’il avait raison, mais personne n’osait se l’avouer. En ce mois de septembre 1939, l’histoire du pays s’écrivait sans eux, les réduisant à leur impuissance, comme lorsqu’une grêle ravageuse anéantit leur récolte.

L’esprit contrarié, les pères de famille prirent congé tour à tour. On vit leurs silhouettes désabusées rejoindre les maisons, et la contrée se taire, déjà pétrifiée par le spectre du cataclysme à venir.


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