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Ecrire un roman : entre courage et inconscience

Dernière mise à jour : 5 janv. 2020

Cela fait trente ans que je rédige, relis, corrige, reformule des textes. Lorsque je retranscris l’histoire de mes clients, ceux-ci me fournissent la matière, le contexte, les événements qui se succèdent. Dans l’écriture d’un roman, ce qui a été nouveau pour moi a été l’absence totale de cette matière première, de ce paquet de mots qui ne demande qu’à être travaillé. Première scène, Jean fait ses adieux à Colette… « Ok, la fille voit partir son homme. C’est un choc. Allons-y, comment décrire la scène, sans dire simplement : Jean s’en va, Colette est triste ? » Le syndrome de la page blanche…


Extrait...

"À Paleysin, Colette guettait le bruit de la traction tout en redoutant son arrivée. La jeune femme s’était postée dans la cour depuis quelques minutes déjà, parce qu’elle savait que Jean passerait lui faire ses adieux vers 8 heures.

En ces heures si particulières, il n’avait pas été question pour elle de se rendre à l’usine. D’ailleurs, monsieur Berthet ne s’était pas opposé à la demande de congé de sa tisseuse. Que représentait donc une journée de travail lorsqu’on s’apprête à affronter une guerre ?

Colette entendit la porte de la basse-cour grincer sur ses gonds. Elle savait qu’André venait jeter le grain aux poules. Caquètements et battements d’ailes s’intensifièrent, puis les gloussements familiers se réinstallèrent. Le portillon se referma, le loquet glissa dans la gâche. Colette sentit André s’immobiliser pour l’observer. Elle avait enfilé sa robe du dimanche, et les coudes calés sur un muret, guettait l’arrivée de la voiture.

Les vibrations d’un moteur frissonnèrent au loin. Colette tressaillit et se redressa. L’auto venait du plateau, atteignait Montquin et bifurquait à gauche. Dans dix secondes, elle entrerait dans la cour.

Jean s’extirpa du véhicule au premier coup de frein. En deux enjambées, il retrouva les bras amoureux. Deux secondes d’étreinte, un baiser. Les fiancés se dévisagèrent avec passion. Jean caressa les cheveux de sa future femme, amorça un pas de recul. Elle n’opposa aucune résistance. Ses mains lâchèrent celles de Jean. Lui comme elle savait bien que monsieur Rostaing ne pouvait pas attendre plus longtemps, parce que le train arriverait bientôt en gare.

Dans l’auto, deux autres mobilisés n’avaient pas fait grand cas de ces adieux touchants. Leur regard absent trahissait l’inquiétude d’hommes s’apprêtant à affronter un inconnu terrifiant. Jean regagna sa place à leur côté, la voiture fit demi-tour et disparut."





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